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Et comment tu leur parle, toi, aux montres à quartz ?
Et comment tu leur parle, toi, aux montres à quartz ?
  • Y'a des chemins qui s'empruntent pas, y'a des envies qui s'expliquent pas, y'a même des coeurs qui battent pas. Mais si y'a des mains pour écrire, y'a sûrement quelques yeux pour lire, nan ? Ah, tu vois ? Bah alors...
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11 janvier 2010

1er chapitre de mon roman "Le décentré"

I

 

L’individu nommé Nalren monta dans le bus, posant l’un de ses deux pieds nus devant l’autre, puis l’autre devant l’un et ainsi de suite, doucement, pas à pas, comme tous les samedis. Il montait toujours dans le bus comme cela, et regardait ses pieds jusqu’à ce qu’il bute contre la cabine du chauffeur, à qui il disait toujours « Bonjour, monsieur » et qui lui répondait toujours « Bonjour Nalren, comment vas-tu aujourd’hui ? ». Alors il allait s’asseoir en silence, puisqu’il ne savait jamais quoi répondre à cette question. Il regardait toujours ses pieds.

C’est aussi comme cela qu’il monta dans le bus ce jour là, mais le chauffeur ne lui demanda pas comment il allait. Il avait comprit que c’était inutile. Alors Nalren composta son ticket et alla s’asseoir en silence. Il s’installa à la même place que d’habitude, dans la rangée de gauche, côté fenêtre, juste derrière la porte du fond, pour mieux voir les gens qui descendaient. Il aimait regarder leurs visages, essayer de deviner leurs âges, compter le nombre de personnes ayant les yeux bleus, les cheveux blonds, petites ou grandes, minces ou grosses. Lui-même avait une apparence en somme toute banale. D’une taille moyenne, il n’était ni gras ni maigre, peut être avait-il un peu de ventre, mais il le cachait bien. Il avait les cheveux bruns, courts et ébouriffés, qui le faisait paraître plus jeune qu’il ne l’était en réalité, le visage ovale avec des pommettes saillantes, une petite bouche aux lèvres fines et un nez aquilin, planté au milieu de son visage comme un arbre dans le désert. On distinguait à peine ses sourcils, ce qui lui donnait un regard assez inexpressif, et dans son œil marron, on ne voyait pas grand-chose, que des souvenirs perdus à jamais et des gens qui passaient.

Parmi les personnes qui descendaient du bus, il y avait celles qui étaient seules. Ces personnes là affichaient souvent des visages neutres et plats, tellement neutres et tellement plats qu’on les aurait crues sans présent. Elles étaient sûrement pleines des vides du passé, et vides des trop pleins de l’avenir. Nalren appelait ces passagers les marcheurs de non-chemin. Il y avait aussi des couples, des amis, des familles qui discutaient de couples, d’amis et de familles. Ceux là riaient, plaisantaient ou s’embrassaient, et ne pensaient qu’au présent. Celui qui s’asseyait toujours juste derrière la porte du fond saisissaient alors chaque sourire, chaque poignée de mains, chaque mot qui volait autour de sa tête, chaque regard qui se perdait dans le vague, et les attrapaient pour les contempler longuement. Ces passagers là étaient vivants, et Nalren les appelait les chevaucheurs d’allégresse.

Lui, il était seul. Mais il ne se considérait pas comme un marcheur de non-chemin. Pour être marcheur de non-chemin, il fallait se perdre dans ceux du passé et de l’avenir.

Or il n’avait pas de passé, et il ne se souciait guère de son avenir. Il était simplement là, et cela lui suffisait amplement. Il aimait vivre au jour le jour. Ou peut être pas, il n’en était pas certain. Après tout, de quoi pouvait-on être certain, dans un monde régit par l’incertitude ?

Nalren descendit du bus après les 20 minutes de trajet qui séparaient l’arrêt Auguste-Métivier de la gare d’Austerlitz et marcha en direction du Jardin des Plantes, comme tous les samedis. Il y avait toujours beaucoup de monde le week-end, même par un frais mois de septembre comme celui-là. Il franchit la grande grille de l’entrée, et fut empli de la même sensation de vie que d’habitude. Nalren respira profondément et sentit qu’il était heureux. Alors il prit comme d’habitude l’allée de gauche, marcha un peu, puis s’arrêta pour saluer les fleurs. Une femme en hauts talons courrait vers la sortie, et perdit son portefeuille lorsqu’elle arriva juste au niveau de Nalren, qui le ramassa, l’interpella et le lui tendit. La femme se retourna, un peu essoufflée, le rouge aux joues, et récupéra son bien avec un grand sourire en le remerciant chaleureusement, avant de reprendre sa course.

« Elle est amoureuse… » se dit Nalren. Et il décida d’imaginer le visage de l’être que cette femme aimait.

Il partit s’asseoir sur le banc le plus proche et sortit son repas de midi, qu’il remercia d’avance du bien qu’il ferait à son estomac. Il essayait toujours de discuter avec sa nourriture, mais elle ne lui répondait jamais, alors il ne faisait que lui dire merci et se mettait à manger en silence. Nalren mâchait lentement, comme un vieil homme au dentier instable, et savourait chaque bouchée, même si ce qu’il avalait était souvent d’un goût assez désagréable. Il n’avait jamais su cuisiner. Quand il eut fini, il entama une conversation très intéressante sur les femmes amoureuses avec le petit moineau qui s’était posé sur le banc, juste à côté de lui. Mais les moineaux n’étaient pas très intelligents, alors il abandonna bien vite, et se dirigea vers la ménagerie. Arrivé au niveau du guichet, il sortit son petit-plein-de-sous, et entreprit une fouille archéologique pour trouver les sept euros que coûtait l’entrée du zoo.

« Hé, bonjour Nalren ! Tu es bien élégant aujourd’hui, dans ta belle veste à carreaux ! »

Cet homme, dans la petit boîte octogonale, c’est celui qui dit bonjour à tout le monde et qui reçoit les sous des visiteurs. Nalren le trouve gentil, et il aime bien sa casquette marron en forme de patate chaude aplatie. En plus, il trouve ça bon, les patates chaudes.

« Merci monsieur Victor, c’est la voisine qui me l’a donné ce matin pour mon anniversaire.

- Oh ! Bon anniversaire, alors ! Mais je pensais que tu ne connaissais pas ta date de naissance ? s’interrogea Victor en levant les sourcils

- Ce n’est pas que je ne la connais pas, expliqua Nalren, c’est juste que je ne suis jamais né. C’est le maire, monsieur Coste-Hubert qui a décidé que le 13 septembre sera le jour de mon anniversaire. »

Victor ne releva pas la remarque étrange de son interlocuteur, il n’était pas rare que Nalren dise des choses sans aucun sens Par contre, il le repris sur sa faute de conjugaison.

« On ne dit pas « sera » , mais « serait » le jour de mon anniversaire.Ça vous dérange, que ce ne soit pas gramme-à-tes-calmants correct ? demanda Nalren, toujours soucieux d’être poli et de n’embêter personne.

- Je préfère dire « sera ». J’aime bien quand un mot finit par la lettre « a ». En plus, elle doit en avoir assez d’être toujours la première dans l’alphabet, alors ça doit lui faire du bien de partir en voyage à l’autre bout de temps en temps. Et puis c’est une jolie lettre.

- Tu as raison, c’est une bien jolie lettre. Mais ce n’est pas grammaticalement correct…

-  Ça vous dérange, que ce ne soit pas gramme-à-tes-calmants correct ? demanda Nalren, toujours soucieux d'être poli et de n'embêter personne. 

- Ça dérangerait sûrement ma femme, qui est professeur de français, mais moi je m’en fiche, avoua Victor. C’est juste que j’ai l’habitude d’entendre quelqu’un me sermonner sur mes fautes de grammaires, et que j’ai tendance à reproduire le schéma.

- Je ne connais pas votre femme. Mais si cela ne vous dérange pas vous, c’est le principal, décida Nalren.

- C’est vrai, c’est le principal. De plus, il y a très peu de chances que tu rencontres ma femme un jour, puisqu’elle ne vient jamais me voir au travail, fit l’homme avec une moue boudeuse…

- Peut-être qu’elle a peur d’être trop à l’étroit si elle vous rejoint dans votre petite boîte, ou qu’elle n’aime pas apprendre à parler français aux animaux.» suggéra Nalren de bon cœur.

Les visiteurs qui attendaient de payer leurs entrées commençaient à s’impatienter, et se demandaient si l’attraction principale de la ménagerie n’étaient pas plutôt sur le seuil qu’à l’intérieur même. Seuls les enfants semblaient trouver la conversation de Nalren et monsieur Victor digne d’intérêt, et riaient des choses étranges qui se disaient à l‘entrée de ce zoo. 

« Bon, eh bien puisque c’est ton anniversaire, aujourd’hui la visite est gratuite pour toi, dit l’homme de la petite boîte avec un grand sourire.

- Merci, c’est très aimable à vous, fit Nalren en inclinant la tête. Bonne journée, monsieur Victor.

- À toi aussi Nalren. Mais la semaine prochaine, mets des chaussures, ou tu risque de te faire croquer les pieds par un caïman affamé.

- Les caïmans savent-ils cuisiner ?

- Je ne pense pas, Nalren.

- Alors comment pourraient-ils me manger ? »

Victor resta stupéfait pendant un instant, ne sachant que dire face à une telle logique. Celui qui marchait pieds nus n’attendait de toute façon pas de réponse, et il partit.

L’homme de la petite boîte sourit en le regardant s’éloigner, et se dit que Nalren lui donnait parfois des leçons de simplicité magnifiques, et qu’il était loin d’être aussi bête que ce que tout le monde pensait. Il était juste différent des autres.

- Les caïmans savent-ils cuisiner ?

- Je ne pense pas, Nalren.

- Alors comment pourraient-ils me manger ? »

Victor resta stupéfait pendant un instant, ne sachant que dire face à une telle logique. Celui qui marchait pieds nus n’attendait de toute façon pas de réponse, et il partit.

L’homme de la petite boîte sourit en le regardant s’éloigner, et se dit que Nalren lui donnait parfois des leçons de simplicité magnifiques, et qu’il était loin d’être aussi bête que ce que tout le monde pensait. Il était juste différent des autres.

 

 

 

 

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Commentaires
L
Superbe. Je trouve que tu as un peu le même style qu'Haruki Murakami. Tu devrais lire Kafka sur le rivage.
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